SILIMUKA, comment négocier une nouvelle modernité

Le projet

Le groupe de travail de Lubumbashi du projet ChinAfrika souhaite se focaliser sur la manière dont la présence d’entreprises chinoises dans la région et les relations commerciales avec la Chine ont changé la conception du travail dans l’imaginaire collectif : l’idée de travailler pour quelqu’un, de travailler avec quelqu’un, de travailler chez quelqu’un ou même de se retrouver en position de concurrence. Ces différents cas de figure dressent autant de possibles relations qui traduisent des manières d’aborder l’altérité mais aussi de définir sa propre manière d’être dans le monde.

Dans la région de Lubumbashi, la structure sociale a été construite par la « trinité coloniale » (Administration, Eglise, Entreprises) d’une manière à créer une classe ouvrière pour laquelle la notion de travail (Kazi en swahili) et la notion de modernité se retrouvent entremêlées : on accède à la modernité parce qu’on a un emploi et les avantages sociaux qui vont avec. Par le travail, on accède aussi à une manière de vivre, on devient un «évolué », on entre dans le « Kizungu », littéralement le mode de vie occidental[1]. Cette vision paternaliste du travail comme voie d’accès à la modernité à l’occidental a longtemps prévalu après l’indépendance du pays, mais est en train d’être battu en brèche par la crise économique dans le secteur minier, l’effondrement de la grande publique, la Gécamines.

Dans le même contexte, d’autres manières de définir le travail et la modernité sont à l’œuvre avec l’arrivée des entreprises chinoises et le développement des échanges avec la Chine. Si une importante frange de la population s’est senti délaissée, par la Gécamines et incapable de domestiquer le « kizungu », la modernité qu’elle a construite, des relations nouvelles se construisent, sur d’autres bases, avec d’autres acteurs.

Vu sous l’angle des relations internationales, les rapports entre la Chine et les pays africains comme le Congo reflètent une volonté de s’émanciper des attentes d’aide au développement de la part des anciennes coloniales, pour aider à mettre en place des infrastructure ou pour développer ses industries d’extraction. Comme l’affirme le Président zimbabwéen Robert Mugabe la Chine fait ce que l’Afrique attendait des anciennes puissances colonisatrices[2]. Toute la controverse autour du « contrat chinois » entre le gouvernement congolais et la Chine peut être lu au travers de la tension entre les obligations des institutions financières occidentales qui imposent des restrictions de prêt et la Chine qui troque des infrastructures contre les ressources minières.

Prenant cette question par le bas, le groupe de travail de Lubumbashi souhaite analyser la manière dont cette volonté d’émancipation est ressentie et vécu par les hommes et les femmes dont le travail est lié de près ou de loin aux échanges avec la Chine : les ouvriers des chantiers, les mineurs des carrières, les commerçants, les employés de banque, les serveurs des restaurants, etc. Ayant connu les déceptions du travail paternaliste Kazi/kizungu, comment ces travailleurs réinventent-ils leur rapport au monde ? Considèrent-ils qu’ils participent à ce que le gouvernement congolais appelle « révolution de la modernité »[3] ? Comment vivent-ils le changement de paradigme entre une construction sociale à l’européenne porté par la colonisation et la Gécamines d’une part et les négociations quotidiennes avec ces partenaires d’un genre nouveau ? Quelles astuces mettent-ils en œuvre pour domestiquer ces nouveaux rapports au monde ?

Le projet veut collecter des mots, des expressions, des témoignages, des objets et les transformer dans des médiums par des artistes, vidéastes, écrivains et essayistes. Comme toile de fonds, la notion de modernité à domestiquer et celle d’émancipation du modèle colonial. Ces deux notions s’expriment dans le mot « silimuka », mot swahili qui vient de l’époque précolonial qui veut dire à la fois devenir musulman et devenir moderne, dans le swahili d’aujourd’hui, il veut dire devenir astucieux en prenant la leçon d’une expérience périlleuse. En plus d’ouvrir la question de la modernité à d’autres pans de la planète, de lire la domination coloniale au-delà du simple rapport à l’Europe fin XIXème et début XXème, il permet aussi de parler des stratégies contemporaines d’émancipation.

Au cours des discussions et lectures préliminaires que nous avons fait au début du mois d’août dernier, nous avons eu rassemblé quelques idées qui pourrait jeter les bases du travail à accomplir dans les mois qui viennent :

  • Contrat chinois  et climat des affaires
  • Le bâtiment Hypnose, le plus haut bâtiment de Lubumbashi actuellement en construction devant le parvis de la cathédrale de Lubumbashi. Ce bâtiment qui abritera un mall s’inscrit dans le paysage architectural de manière imposante. Des ouvriers congolais et chinois y travaillent jour et nuit. En face, la façade d’entrée du gouvernorat de province est aussi en train de changer en prenant, elle aussi des murs de verre, cassant le dialogue entre la cathédrale et la résidence du gouverneur,  deux immeubles coloniaux.
  • Les Casinos de Lubumbashi
  • La publication La chine en question par Passou Lundula, éditions Passou, 2009
  • Les congolais qui parlent mandarins et travaillent comme traducteurs (notamment dans les banques)

 

Artistes et acteurs:

  • Bodil Furu, vidéaste, Norvège
  • Daniel Sixte Kakinda, artiste bébéiste, R.D.Congo
  • Denise Maheho, journaliste, R.D.Congo
  • Eddy Mayaya, styliste, R.D. Congo
  • Ghislain Ditshekedi, plasticien, R.D.Congo
  • Luc Mukendi, activiste, R.D.Congo
  • Rebecca Corey, Directeur, Nafasi Art Space, Tanzania

 

Calendrier :

  • 15 septembre : confirmation des artistes et demande de projet pour ChinAfrika
  • 20-30 novembre : Atelier ChinAfrika, Présentation des projets, discussions avec les partenaires (dans le cadre de l’Atelier Discursif de Décembre du centre d’art Waza)
  • 15 décembre : projets finaux et début de la réalisation des projets
  • 15 avril : début de la phrase « production »
  • fin avril- début mai : fin des projets,  présentation pilote à Lubumbashi

 

[1] Le mot « kizungu » est de même racine que « muzungu », le blanc.

[2] Dans son mot de cloture du Forum de coopération sino-africain.

[3] Projet de société du gouvernement congolais, slogan de campagne de Joseph Kabila en 2011 qui prend la suite des « Cinq chantiers » de 2006 et qui semble largement basé sur les espoirs de construire des infrastructure avec le contrat chinois.