Projets

Programme KAZI 2.0

 

Le rôle de Waza, Centre d’art de Lubumbashi s’inscrit dans une société qui a connu d’importants changements ces 20-30 dernières années à la fois au niveau économique, social, politique, sécuritaire, qu’au niveau culturel et du rapport au monde. Le Haut-Katanga, est une région industrielle du Sud-Est du Congo dont l’existence et la vie a été rythmée par l’exploitation minière et le système social qu’il a créé autour d’une grande entreprise publique, la Générale des Carrières et des Mines (Gécamines). Cette entreprise et ses entreprises partenaires se sont peu à peu effondrées à la fin des années 1980, au cours des dernières années de la dictature du président Mobutu. La faillite de l’Etat ainsi que les guerres qui se sont succédé ont continué de la ruiner, alors que de nouvelles entreprises, plus souples et mieux adaptées à la forme d’une économie globalisée voient le jour dans ce secteur qui était le monopole de la Gécamines, sans reprendre le modèle paternaliste de cette dernière.

Une clé de lecture englobant la réalité de ces changements telle que vécue par les communautés est donnée par le paradigme du KAZI, mot swahili désignant le travail salarié dans les grandes entreprises publiques  ainsi que les avantages sociales qui en résultent.

A travers ce statut, les hommes sont entrés dans l’ère « moderne ». Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, la décomposition des univers de type colonial suivie de la désindustrialisation ont entraîné la crise sociale. Les populations sinistrées ont tout perdu avec la fin du kazi. Le travail de mémoire s’articule ici autour d’un sentiment de rage de n’avoir pas su ou pu maîtriser cette « modernisation » qui fit d’eux des citoyens pour les rejeter ensuite à la marge du monde.[1] (Dibwe & Jewsiewicki, 2004)

Ainsi la crise du kazi n’est pas seulement celle de l’industrie et de l’économie. Mais elle est aussi d’une part celle de la citoyenneté, de la manière « d’être ensemble » et d’autre part d’un du rapport à la modernité, une manière « d’être au monde ».

Le mot Kazi est aussi utilisé dans certaines locutions pour exprimer l’ensemble des occupations et des préoccupations comme dans l’expression « kazi yako » (« c’est ton affaire » ou « gare à toi »), ou pour désigner les jours de la semaine qui s’exprime en terme de premier, deuxième, troisième jour de travail (kazi moya, kazi mbili, kazi tatu, etc.). Considérer qu’il n’y a plus de kazi entraine donc une crise bien plus importante que celle du chômage, mais une perturbation de l’ensemble de la société, du temps, de toutes les (pré)occupations.

Comment un centre d’art, qui travaille sur l’imaginaire social peut s’insérer dans le débat sur cette crise ? Quelles réponses peut-il apporter qui parlent à la fois au contexte local et nourrit la réflexion à un niveau plus large ? La précarité et la souplesse du statut social de l’artiste peut-il servir à amorcer une réflexion sur la redéfinition de la valeur du travail ? Et finalement, quelle société l’art peut-elle imaginer et aider à construire ?

Une réponse possible serait d’imaginer un Kazi 2.0[2], en s’inspirant des réorganisations sociales qui sont à l’œuvre dans la société, qui pourrait permettre de les lire et d’échanger les expériences selon le modèle du Web 2.0, où le partage des informations (et des ressources) est interactif et décentralisé et amène à se réapproprier son image, sa capacité à se projeter, son énergie, sa force de penser, etc. Et trouver ainsi une manière de « domestiquer » le kazi.

Kazi 2.0 peut alors devenir une proposition politique qui s’inscrit en réponse à la fois à la nostalgie du paternalisme de la Gécamines/ l’Etat et aux chimères de l’expansion capitaliste et individualiste de la société contemporaine, en cherchant des nouvelles manières de  créer des ressources, de les partager et de les gérer en les mutualisant.

[1]Dibwe, D. & Jewsiewicki, B., 2004. Le Travail Hier et Aujourd’hui, Mémoires de Lubumbashi. Paris: L’Harmattan.
[2] Merci à Tristan Guilloux pour ce terme.